Les tomates telles que nous les connaissons aujourd’hui, charnues et rouges, n’ont pas toujours eu cet aspect harmonieux. Autrefois, nos potagers étaient peuplés d’une multitude de variétés aux formes et couleurs diversifiées, offrant des saveurs surprenantes. Apparemment, un regain d’intérêt pour ces anciennes tomates a émergé ces dernières années.
Des maraîchers professionnels aux jardiniers amateurs, beaucoup se tournent vers ces merveilles végétales du passé qui avaient presque disparu de nos repas. La question se pose : qu’est-ce qui provoque ce phénomène? Ces anciennes variétés présentent de nombreux avantages, notamment une rusticité surprenante, des rendements intéressants, mais surtout une richesse de saveurs oubliées.
Les variétés ancestrales en plein essor
Depuis environ quinze ans, on observe une montée en popularité des variétés anciennes de tomates. Ce n’est pas uniquement un engouement passager; il s’agit d’un mouvement plus profond qui vise à retrouver des saveurs authentiques et une alimentation de qualité. Une enquête menée par l’INRAE (Institut National de Recherche pour l’Agriculture et l’Environnement) a révélé que la vente de semences de tomates ancestrales a grimpé de 45 % entre 2015 et 2022. Les marchés de producteurs, les AMAP, et même certaines grandes surfaces commencent à proposer ces tomates colorées, qui contrastent joliment avec l’homogénéité des tomates standardisées.
Un patrimoine végétal sauvé par des passionnés
La possibilité de redécouvrir ces anciennes tomates est le fruit du travail acharné d’individus et d’associations dévouées. Des organisations telles que Kokopelli et Les Croqueurs de Carottes luttent depuis des décennies pour préserver ces espèces menacées. Pascal Poot, agriculteur dans l’Hérault, est particulièrement reconnu pour sa vaste collection de plus de 400 variétés anciennes cultivées sans irrigation, illustrant ainsi la capacité de ces tomates à résister à des conditions climatiques rigoureuses, notamment en période de sécheresse.
Des tomates rustiques face aux défis climatiques
Contrairement aux variétés modernes, souvent conçues pour leur uniformité et leur aptitude au stockage prolongé, les tomates anciennes ont évolué pour répondre aux spécificités de leur sol tout en développant une résistance naturelle aux maladies et aux aléas climatiques. Ces variétés ont été sélectionnées pour leur robustesse et leur capacité à s’adapter aux conditions locales.
Résilience face aux maladies
Alors que de nombreuses tomates modernes nécessitent des traitements préventifs pour faire face aux maladies, beaucoup de variétés anciennes possèdent une résistance innée au mildiou, à l’oïdium, et à d’autres afflictions cryptogamiques. Cette rusticité en fait d’excellents candidats pour le jardinage biologique. Parmi ces variétés, on peut citer :
- Noire de Crimée : connue pour sa résistance à la sécheresse et au mildiou
- Rose de Berne : peu touchée par les maladies cryptogamiques
- Cœur de Bœuf : bonne tolérance aux variations de température
Des variétés adaptées aux cultures sans irrigation
Avec l’augmentation des épisodes de sécheresse, un intérêt grandissant se manifeste pour des plantes qui nécessitent peu d’eau. Certaines anciennes tomates, telles que la Saint-Pierre ou la Calabash Rouge, développent naturellement un système racinaire profond leur permettant de chercher l’humidité dans les couches plus profondes du sol. Selon les recherches de François Léger, un scientifique d’AgroParisTech, ces variétés pourraient réduire les besoins en irrigation de 30 à 40 % par rapport à leurs homologues modernes, tout en maintenant un rendement satisfaisant.
Une productivité qui défie les préjugés
Il est souvent dit que les variétés anciennes sont moins productives que les hybrides modernes. Toutefois, ce jugement mérite d’être nuancé. Ces variétés peuvent afficher des rendements inférieurs dans des conditions intensives standardisées, mais elles ont généralement une meilleure générosité dans un jardin traditionnel.
Des rendements durables sur une plus longue période
Les anciennes tomates, bien qu’elles donnent parfois moins vite que les modernes, compensent souvent par une période de production prolongée. Tandis que certaines variétés hybrides sont rapidement épuisées, des variétés comme la Brandywine ou l’Ananas continuent de produire jusqu’aux premières gelées. Voici un aperçu des rendements moyens :
Variété | Production moyenne par pied | Période de récolte |
Roma | 5 à 8 kg | Juillet à septembre |
Green Zebra | 3 à 5 kg | Juillet à octobre |
Cœur de Bœuf | 4 à 7 kg | Juillet à octobre |
Des fruits plus consistants et moins d’eau
En prenant en compte non pas le poids brut mais la quantité de chair utilisable, les tomates anciennes sont souvent plus avantageuses. Leur teneur en matière sèche plus élevée et leur structure interne, comportant moins de cavités juteuses, en font des tomates plus « rentables » pour l’utilisation culinaire. Par exemple, la Marmande procure une chair dense avec peu de jus, idéale pour les sauces et les conserves, permettant ainsi d’obtenir davantage de pulpe qu’avec des variétés commerciales standards.
Renaissance des saveurs oubliées
Sur le plan gustatif, les tomates anciennes se distinguent nettement. Leur richesse aromatique se démarque du goût souvent insipide des tomates industrielles, qui sont généralement choisies pour leur esthétique et leur conservation.
Une diversité de saveurs significative
Ces variétés patrimoniales ne se contentent pas d’offrir un simple goût de tomate; elles présentent une gamme impressionnante d’arômes :
- Noire de Crimée : aux notes sucrées et fumées
- Ananas : saveur fruitée rappelant l’ananas et les agrumes
- Green Zebra : acidité séduisante et légèrement citronnée
- Poire Jaune : douce avec une légère acidité, parfaite à manger crue
- Rose de Berne : un équilibre optimal entre douceur et acidité
Des bénéfices nutritionnels intéressants
Dès lors, de nombreuses analyses nutritionnelles démontrent que les variétés anciennes sont souvent plus riches en antioxydants, notamment en lycopène, que leurs homologues modernes. Par exemple, une étude parue dans le Journal of Agricultural and Food Chemistry révèle que certaines variétés, comme la Black Cherry ou la Cornue des Andes, contiennent jusqu’à 40 % de vitamine C en plus.
Marie Delarue, spécialiste en nutrition, mentionne que « la diversité des teintes parmi les tomates anciennes traduit également la richesse en composés phytochimiques, chacun ayant des avantages pour la santé ».
Cultiver ces trésors dans son propre jardin
Pour les passionnés de jardinage, il est réjouissant de savoir que ces variétés anciennes se cultivent généralement de manière suivie, à condition de respecter plusieurs principes fondamentaux.
Sélectionner les variétés selon son climat
Toutes les variétés anciennes ne s’épanouissent pas dans chaque région. Il est conseillé de se rapprocher de jardiniers locaux ou de pépinières pour connaître celles qui prospéreront dans votre environnement spécifique.
- Pour le Nord de la France : privilégiez des variétés précoces comme la Précoce de Quimper ou la Stupice
- Pour le Sud : les variétés italiennes telles que la San Marzano ou la Cœur de Bœuf sont à favoriser
- Pour les zones humides : choisissez des variétés résistantes au mildiou, comme la Fournaise ou la Matt’s Wild Cherry
Pratiques de culture adaptées
Les tomates anciennes prospèrent souvent dans un sol riche en éléments organiques et bien drainé. Contrairement à certaines idées reçues, elles ne requièrent pas nécessairement davantage d’attention que les variétés modernes, mais plutôt une méthode de culture différente.
- Espacer les plants (minimum 70 cm) pour favoriser une bonne circulation de l’air et ainsi limiter les maladies
- Utiliser un paillage dense pour conserver l’humidité du sol, réduisant ainsi les besoins en irrigation
- Éviter les tailles sévères : de nombreuses variétés anciennes n’apprécient pas les tailles trop drastiques
- Préférer le compost mûr aux engrais chimiques
S’approvisionner en ces variétés rarissimes
Face à l’engouement croissant pour les tomates anciennes, de nombreuses pistes d’approvisionnement se sont ouvertes, tant pour les plants que pour les semences.
Acheter des plants ou des graines
Les jardiniers ont plusieurs options à leur disposition :
- Les foires aux plantes et trocs de graines, devenus courants au printemps
- Les pépinières spécialisées, telles que Le Biau Germe, Germinance ou Graines del Païs
- Des associations comme Kokopelli ou Semences Paysannes, qui offrent des catalogues variés
- Les jardineries, qui élargissent leur choix face à la demande effrénée
Pour les novices, commencer par des plants achetés est souvent la solution la plus simple. Les jardiniers expérimentés pourront s’initier à la production de leurs propres semences, participant ainsi à la sauvegarde de ce patrimoine culinaire.
Techniques de récolte des graines
Un des grands avantages des variétés anciennes réside dans leur capacité à se reproduire fidèlement, contrairement aux hybrides F1. Récolter ses propres graines non seulement permet de réaliser des économies, mais permet également de sélectionner les plants les mieux adaptés à votre jardin.
La méthode est simple : choisissez des fruits bien mûrs d’une plante vigoureuse et productive, récupérez les graines, éliminez le gel qui les entoure en les lavant, séchez-les soigneusement, puis rangez-les dans un endroit frais et sec jusqu’au printemps suivant.
Les tomates anciennes incarnent bien plus qu’une simple tendance passagère. Leur retour sur nos tables et dans nos potagers évoque une reconnexion avec notre héritage culinaire et une approche plus durable et résiliente du jardinage. Grâce à leur rusticité, leur générosité et leur goût inébranlable, ces variétés oubliées nous rappellent que la diversité est une source non seulement de plaisir gustatif, mais également une garantie pour notre sécurité alimentaire future. Dans un contexte où les défis climatiques se font de plus en plus pressants, ces anciennes variétés pourraient bien constituer les tomates de demain.